Le cri de Nazareth

Beni Abbés, 7 mars 1902

Fraternité du Sacré-Cœur de Jésus

Beni Abbés

Mon bien cher ami, ami des premières années et de toutes les années, j’ai été longtemps sans t’écrire et jamais sans penser à toi comme jamais sans t’aimer… Tu es resté « l’ami » et, si j’ose me servir d’une parole de Notre Seigneur JÉSUS « ta part ne t’a pas été ôtée ».

Depuis ma dernière lettre, datée de Rome, j’ai passé quatre ans ermite en Terre Sainte, vivant du travail de mes mains comme JÉSUS sous le nom de « frère Charles », inconnu de tous et pauvre et jouissant profondément de l’obscurité, du silence, de la pauvreté, de l’imitation de JÉSUS — l’imitation est inséparable de l’amour, tu le sais, quiconque aime veut imiter : c’est le secret de ma vie : j’ai perdu mon cœur pour ce JÉSUS de Nazareth crucifié il y a 1900 ans et je passe ma vie à chercher à l’imiter autant que le peut ma faiblesse. — Puis j’ai été passer un an dans un couvent à étudier, et j’y ai reçu les Saints Ordres. Prêtre depuis le mois de juin dernier, je me suis senti appelé aussitôt à aller aux « brebis perdues », aux plus perdues, aux âmes les plus abandonnées, les plus délaissées, afin d’accomplir envers elles ce devoir de l’amour, commandement suprême de JÉSUS « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, c’est à cela qu’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples. »

[…] J’ai demandé et obtenu la permission de venir à Beni Abbés, petite oasis du Sahara algérien sur les confins du Maroc, et d’y vivre en solitaire, en moine cloîtré, tâchant de me sanctifier et de conduire les autres âmes à JÉSUS non par la parole ni la prédication mais par la bonté, la prière, la pénitence, l’exemple de la vie évangélique, surtout par la présence du T.S. Sacrement…

Cher ami, si ton cœur te disait de me faire une visite, tu sais avec quel bonheur je t’embrasserai et partagerai avec toi la cellule : on te servira le plus beau pain d’orge et les plus belles dattes, et on causera du passé, du présent plus doux encore, et de l’avenir encore plus suave… Je suis heureux, très heureux, extrêmement heureux, bien que je ne cherche en rien le bonheur, depuis bien des années.

Cher ami, je t’ai dit tout ce qui me concerne; j’ajoute que ma sœur va bien; elle est très bien mariée, à un mari excellent, et a 7 enfants dont 6 vivants sur la terre et bien portants, et un vivant au ciel de la vie véritable dont celle-ci n’est que le prélude.

Donne-moi de tes nouvelles et des nouvelles de tous les tiens, cher ami; tu sais quelle vénération j’ai pour ton cher et excellent père : présente-lui mes plus profonds respects ; embrasse de ma part Toto et prie-le de me pardonner l’énorme liberté que je prends de l’appeler de ce nom. Mes humbles respects à ta sœur.

Ton vieil ami qui t’aime de tout son cœur dans le CŒUR de JÉSUS.

Charles de Jésus

 

« Lettres à un ami de lycée »

Correspondance avec Gabriel Tourdes (1874-1915)

Charles de Foucauld