Le cri de l’inquiétude

Je m’éloignais, je m’éloignais de plus en plus de vous, mon Seigneur et ma vie… et aussi ma vie commençait à être une mort, ou plutôt était déjà une mort à vos yeux… Et dans cet état de mort vous me conserviez encore : vous conserviez dans mon âme les souvenirs du passé, l’estime du bien, l’attachement dormant comme un feu sous la cendre, mais existant toujours, à certaines belles et pieuses âmes, le respect de la religion catholique et des religieux: toute foi avait disparu, mais le respect et l’estime étaient intacts…

Vous me faisiez d’autres grâces, mon Dieu vous me conserviez le goût de l’étude, des lectures sérieuses, des belles choses, le dégoût du vice et de la laideur… Je faisais le mal, mais je ne l’approuvais ni ne l’aimais…

Vous me faisiez sentir une tristesse profonde, un vide douloureux, une tristesse que je n’ai jamais éprouvée qu’alors… elle me revenait chaque soir lorsque je me trouvais seul dans mon appartement… elle me tenait muet et accablé pendant ce qu’on appelle les fêtes: je les organisais, mais le moment venu, je les passais dans un mutisme, un dégoût, un ennui infinis…

Vous me donniez cette inquiétude vague d’une conscience mauvaise, qui toute endormie qu’elle est n’est pas tout à fait morte et cela suffisait pour me mettre dans un malaise qui empoisonnait ma vie… je n’ai jamais senti cette tristesse, ce malaise, cette inquiétude qu’alors, mon Dieu… c’était un don de vous…

Comme j’étais loin de m’en douter!..

Que vous êtes bon!..

 

La dernière place,

Retraite à Nazareth (1897)

Charles de Foucauld