Le cri de Dieu

Trappe de Notre-Dame-des-Neiges, par La Bastide (Lozère),

8 juillet 1901

Mon cher Ami,

Combien je suis touché de votre si affectueuse lettre!… Merci mille fois de votre amitié si fidèle et si précieuse! Merci aussi des renseignements que vous me donnez et des dé­marches que vous m’offrez de faire… Je vous en suis reconnaissant de tout mon cœur…

Oui, vous avez raison, l’Islam a produit en moi un profond bouleversement… la vue de cette foi, de ces âmes vivant dans la conti nuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines: « ad majora nati sumus »… Je me suis mis à étudier l’Is­lam, puis la Bible, et la grâce de Dieu agissant, la foi de mon enfance s’est trouvée affermie et renouvelée…

 Je ne puis assez rendre de grâces à Dieu: ma vie s’écoule dans une gra­ttitude et un ravissement ininterrompus: oui, cher ami, vous avez raison, Dieu m’a donné cette meilleure part dont je suis infiniment indigne: je voudrais que vous sachiez com­bien je suis heureux: je n’ai point cherché le bonheur, je croyais en entrant au couvent ne trouver que la Croix, et je l’embrassais avec joie pour suivre le bien-aimé Jésus: mais tout en la trouvant (sans elle, la vie ne serait pas complète, car on ne ressemblerait pas au Bien-aimé) j’ai trouvé tant de délices que les dou­leurs mêmes, font verser des larmes de joie […]

Nous ne lisons pas de livres profanes: mais votre livre n’est pas un livre profane: en m’ap­prenant à mieux connaître les Musulmans que j’aime de tout mon cœur, il me rendra plus capable de leur faire du bien, ce qui est mon si ardent désir: je serai donc très heureux et reconnaissant que vous me l’envoyiez et je le lirai avec le plus grand soin.

Vous avez parfaitement compris ce que je  voudrais: établir une zaouïa de prière et  d’hospitalité entre Aïn Sefra et le Gourara,  pour faire rayonner l’Évangile, la Vérité, la  Charité, Jésus. […]

Je fais en ce moment les démarches auprès des Pères Blancs dont dépend cette région; je ne puis m’y établir sans leur autorisation. Dès que j’aurai obtenu de ce côté les permissions nécessaires, je vous écrirai longuement pour vous demander vos conseils et votre appui, que vous m’offrez avec tant de bonté, et dont j’userai largement.

Merci encore, et daignez croire au profond respect et au profond dévouement de Votre humble serviteur en Notre Seigneur Jésus.

Charles de Jésus.

Lettres à Henry de Castries,

Charles de Foucauld