Le cri des derniers des derniers
Iseken (Ifetessen), entre In Amedjel et In Salah,
17 juin 04
Mon bien cher ami,
Pardonnez mon papier, mon griffonnage et mon long silence… Votre lettre du 4 avril m’arrive il y a 3 jours — 1er courrier depuis 3 mois. —
[…] La situation des oasis a beaucoup changé depuis que le Comdt Laperrine en est commandant supérieur. Laperrine, très intelligent, très actif, d’une indépendance de caractère et d’un désintéressement absolus, a rapidement mis les oasis en plein progrès, réelle prospérité, et par un mélange de force employée avec justice, de constante loyauté et de grande douceur, il a obtenu il y a un an et demi la soumission des Taitok, celle des Iforas, celle des Hoggar…
Ces trois grandes fractions, la moitié des Touareg, sont soumises, mais il reste à les apprivoiser, à faire tomber leur défiance, disparaître leurs préjugés contre nous;… nous faire connaître, estimer, aimer d’eux, leur prouver que nous les aimons, établir la fraternité entre eux et nous, voilà ce qui reste à faire…
J’ai demandé à Laperrine, mon vieil ami, mon vieux camarade, (nous avons été sous-lieutenants ensemble), la permission de travailler à cette œuvre de fraternisation, il me l’a permis, et je suis là depuis quatre mois…
Causer, donner des médicaments, des aumônes, l’hospitalité du campement, se montrer frères, répéter que nous sommes tous frères en Dieu et que nous espérons être tous un jour dans le même ciel, prier pour les Touareg de tout mon cœur, voici ma vie…
De géographie, d’exploration, je ne fais pas l’ombre; je me laisse porter comme par une voiture, ce n’est pas non plus une évangélisation proprement dite, je n’en suis ni digne, ni capable et l’heure n’est pas venue; c’est le travail préparatoire à l’évangélisation, la mise en confiance, en amitié, apprivoisement, fraternisation, chez les Hoggar et les Taitok. […]
Priez, cher ami, pour que Jésus bénisse l’œuvre de son misérable ouvrier…
D’ici comme de partout, je pense à vous, suis avec vous, prie pour vous de tout mon cœur, comme je vous suis dévoué de tout mon cœur dans le Cœur de Jésus.
Charles de Jésus
Lettres à Henry de Castries,
Charles de Foucauld